Une belle année noire en perspective!

J’ai un mal fou avec les convenances qui veulent que l’on formule des vœux, que l’on se souhaite une bonne année, une bonne santé, la réussite et  blablabla à qui veut l’entendre. Oui, c’est bien de se dire de gentilles choses, d’avoir une pensée pour les autres mais… La première semaine de l’année serait donc la semaine où il faut être sympa avec les autres. On souhaite « tout le bonheur du monde » à ses proches, sa famille mais aussi à sa hiérarchie, à celleux qui tout au long de l’année se moquent bien de comment on va et encore plus de qui l’on est, à celleux qui n’en ont au final rien à foutre que nos vœux soient exaucés ou que notre vie soit un cauchemar cette année encore. En fait, cette semaine est surtout représentative du vide sidéral qu’est l’existence normée et des codes mis en place pour y palier…
Je ne jette pour autant la pierre à personne car j’ai bien conscience qu’il est compliqué de sortir du dogme de la bienveillance de la semaine 1/52. J’ai beau jouer les empêcheuses de tourner en rond, j’y suis soumise comme vous et ce billet d’humeur (pas obligatoirement mauvaise!) va en un sens répondre à la convenance, puisque je l’écris un 2 janvier… Mais je vais tenter (gentiment) de botter le cul à la convenance !

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Une belle année noire s’annonce!

2015 sera la suite logique de 2014. Elle comportera son lot de mauvaises nouvelles, d’actualités anxiogènes, et sera certainement plus dense encore en la matière. Les guerres,les famines, l’absence de toit continueront de tuer et l‘économie libérale, de broyer des centaines de millions de personnes selon une logique aussi communément admise qu’inhumaine. Le refrain qui veut que les riches deviennent encore plus riches et les pauvres, encore plus pauvres résonnera en alternance avec les différentes réformes qui ne feront que creuser un peu plus le fossé sous prétexte de relancer la croissance. La bêtise et la bovinerie – voire la porcherie – de certainEs se confirmera tristement. La duplicité, la pauvreté d’âme, l’égoïsme de certainEs autres qui n’hésiteront pas, pour préserver leur statut, leur confort (pour protéger leur cul, disons-le) à écraser leurs pairEs sera de plus en plus criante… Ça envoie du rêve non ?

Oui, c’est pas gai présenté comme ça… Mais on a toujours tendance à être interpelléEs par ce qui est négatif, flippant, et à trop peu relever ce qui est positif, engageant. Pourtant quand une situation se dégrade, une montée en puissance de la résistance s’opère sous différentes formes et  ça branle (sérieusement) dans le manche en ce moment.
J’ai souvenir de manifs anti-répression avant 2014 où nous étions à tout casser 300 (j’ai pas dit 300 à tout casser, je précise! )dans les rues de Naoned, et aujourd’hui, ce sont en moyenne dix fois plus de personnes qui se bougent sans que les mots d(e dés)ordre n’aient été modifiés. Des personnes qui ne font pas obligatoirement partie de la sphère militante, qui sont juste dégoûtées de la manière dont tourne ce monde y prennent part. Les ZADs qui se montent partout sont un autre indice de cette prise de conscience plus large. Ces rassemblements qui ne demandent pas de permission et ne découlent ni d’une centrale syndicale ni de partis politiques, ces émeutes qui éclatent partout dans le monde expriment la colère, le dégoût et la défiance qu’inspirent les Institutions des États à une part croissante du populo. Quand on n’a plus rien (ou de moins en moins) à perdre, les peurs tombent et la terreur change peu à peu de camp ; la violence aveugle des répressions policière et judiciaire illustre pas mal l’état de panique des appareils étatique tout entier. Ce qui est fort, c’est que l’on peut constater que ce que l’on connaît chez nous trouve une résonance au quatre coins du monde. La vitrine de l’État de droit est sérieusement étoilée… Et ça c’est toute l’année !

Si je me délecte de ces constats, si mes yeux brillent en repensant à la pluie diluvienne de caillasses qui s’est abattue le 1er novembre sur les bleuEs, Cour des Cinquante Otages à Nantes, ou en me repassant les images surréalistes du 22 février 2014, ce n’est pas pour autant que je « m’éclate » sur les temps d’émeute et de confrontation. J’ai certes l’amour de ces moments durant lesquels le carton-pâte du décor communément admis – la ville si propre et tout ce qu’elle comporte d’artifices – se fissure pour qu’entre enfin en scène l’expression débridée d’une saine colère, d’un ras le bol général de cette vie là. Je trouve ça romantique : ça vit, c’est puissant, ça transcende. En tous cas quand je compare ces souvenirs ardents avec ceux du petit quotidien normé et gris qui a failli avoir ma peau il y a de ça presque 8 ans, il n’y a pas photo…

Manif annuelle contre le projet d'aéroport - Nantes, 24 mars 2012 Photo d'Yves Monteil - Citizen Nantes

Manif annuelle contre le projet d’aéroport – Nantes, 24 mars 2012
Photo d’Yves Monteil – Citizen Nantes

Mais ce que j’aime par dessus tout c’est voir s’établir tout naturellement les solidarités dans des lieux improbables, entre des personnes que l’on n’a pas l’habitude de voir interagir et qui le vivent avec spontanéité, sur un mode totalement désintéressé. EnrhuméE dans un tram, vous viendrait-il le réflexe de demander un mouchoir à quelqu’unE ? J’imagine que non et si oui, alors chapeau! Lorsqu’on est sur une manif tendue qui vire à l’émeute, le réflexe de celleux qui ont amené de quoi se protéger, c’est de partager leurs doses de sérum, leurs bouteilles de maalox, leurs masques, leurs foulards, leurs conseils aussi ; c’est de faire attention les unEs aux autres. On ne se connaît pas, mais on se reconnaît. C’est à mes yeux l’indice que nous avons bien plus de poids dans la balance du rapport de force que ce que nous imaginons et je pense que c’est précisément ce qui fait flipper le pouvoir en place!

Les manifs sont la partie émergée de l’iceberg insurrectionnel mais l’insurrection c’est aussi la désobéissance aux lois, aux règles et aux codes sociaux. Tant que je me conforme aux usages en vigueur, même avec les meilleures des excuses, je collabore. Tant que je me sens seulE, même si j’espère des jours meilleurs, je ne fais rien. Mais si je me lie à des personnes de mon coin qui partagent la même critique que moi de ce monde, et si ensemble nous commençons à nous organiser pour nous libérer touTEs autant que nous sommes et à désobéir ensemble, alors nous cessons de collaborer et participons à faire tomber l’édifice, au côté d’une myriade de groupes comme le nôtre.
L’organisation dominante que nous subissons ne repose que sur la foi que l’on a en elle. Mais après tout, pourquoi l’État, le grand spectacle politicien, le pouvoir ? Pourquoi la démocratie, la république ? Pourquoi monnaie et propriété dirigent-elles le monde ?… Pourquoi pas des communes libres et indépendantes, l’abolition de tout pouvoir,  de l’argent, de la propriété ? Pourquoi pas une autogestion guidée par le bien commun, la satisfaction des vrais besoins de touTEs ? Pourquoi pas une auto-organisation collective et spontanée ?
Des expériences du passé terriblement réprimées nous prouvent qu’il est tout à fait possible de faire autrement, d’imaginer d’autres formes de vie selon d’autres valeurs. Réaliser que nombre des présupposés qui nous sont inculqués dès notre plus tendre enfance ne sont que des vues de l’esprit, c’est ouvrir la porte à d’innombrables possibles. Plus nous commencerons à les passer à la pratique par notre action simple et quotidienne, plus nous aurons de chances d’en finir avec le vieux monde.

N’attendons donc plus un jour précis pour faire tinter nos verres. Ce que je vous souhaite aujourd’hui, je vous le souhaiterais volontiers chaque jour et ça n’a rien d’un vœu ou d’une incantation :

Trinquons à la fin de ce monde, dansons jusqu’à l’effondrement, portons un toast à nos liens, à nos amitiés, à nos luttes, à la vie! Épanchons chaque jour et chaque nuit notre soif de liberté, savourons le respect que nous nous portons les unEs les autres, le respect que nous avons pour nous-mêmes. Que des milliers de brasiers fassent ressurgir en nous les enfants altruistes et enjouéEs que nous étions! Que brûle en nous le feu ardent de la révolte et qu’il réchauffe nos cœurs roidis par nos si mornes quotidiens! Vivons pleinement, ne refrénons plus nos sentiments de révolte et ayons confiance en notre capacité à créer les bases d’un monde où l’on n’attendra pas de décréter une semaine de mièvrerie sur fond de crise de foie pour avoir une pensée (et sincère en plus) pour les autres. Un monde où chaque jour de l’année la solidarité, la créativité, l’insoumission face à tout ce qui tente nous asservir et notre force collective seront à l’honneur. Je nous souhaite de vivre vraiment, loin de tout ce qui peut être surfait, loin des fausses consolations, en dehors des faux-semblants qui rancissent l’existence jusqu’à la rendre gerbante.

En bref: Vivez!

Et au prochain billet :)

Face au vieux Monde, de nouveaux modes d’action!

J’ai longtemps regretté d’être entrée si tardivement en résistance et pourtant, j’avais des raisons bien à moi de ne pas franchir le pas plus tôt. J’étais particulièrement critique sur le microcosme militant ; toutes ces associations (déclarées ou non, subventionnées ou non) qui fonctionnaient en vase clos me semblaient être à 10 000 lieues de la réalité à laquelle je me heurtais dans mon quotidien.  Ça va bientôt faire 5 ans que j’ai entrepris ce virage à 180° dans ma perception « des choses et du monde » et mon itinéraire m’a fait passer par la Catalogne espagnole. Cette immersion en terre anarchiste a été le point de départ d’un engagement concret, au delà des seules idées et réflexions. Au contact d’Enric Duran et des camarades de la Coopérative Intégrale Catalane , j’ai pu toucher du doigt des modes d’action et d’organisation qui ressemblaient bien plus à l’idée que je me faisais de l’action militante : l’activisme social.

De retour en France, j’ai entrepris de m’impliquer dans les mouvements sociaux locaux. J’ai donc commencé à rencontrer des personnes engagées de longue date, et pour une bonne part, bien plus jeunes que moi. Beaucoup d’entre elles m’ont énormément apporté en terme de connaissances et de réflexion et m’ont réconciliée (au moins en partie) avec l’action militante de ce côté-ci des Pyrénées. J’ai réalisé que l’engagement de ces jeunes se fondait principalement sur leurs convictions, alors que pour ma part, je me suis contentée de goûter aux saveurs âpres de ce monde et de dire, passé un bon moment : « Très peu pour moi »

Depuis 5 ans donc, j’ai eu l’occasion d’observer de l’intérieur le militantisme en Pays Nantais, de le comparer à ce que j’ai pu découvrir dans les tout débuts de ma prise de conscience et je vous propose un tour d’horizon de mes constats et aspirations. Il s’agit, comme le reste de ce blog, d’avis personnels et d’idées qui n’engagent que moi mais qui je l’espère, peuvent apporter du grain à moudre à qui s’attardera sur ce billet. Les commentaires sont tous publiés (sauf bien sûr la liste classique des commentaires sexistes, racistes, homophobes, insultants etc…). Donnez vos avis ;)

CIC

Je n’ai jamais trouvé de dynamique aussi forte que celle que j’ai découverte outre-Pyrénées dès 2010… En tous cas, pas pour l’instant! Et malgré les efforts déployés pour importer l’expérience catalane jusqu’en Pays Nantais et une volonté (restée intacte) d’en partager les fruits, j’ai l’impression que sous prétexte de différences culturelles et historiques, on s’entête à vouloir employer des modes d’action obsolètes, dont l’impact et les résultats restent minimes rapport à l‘énergie déployée et aux risques encourus.

Pourtant, les mouvement sociaux catalans n’ont pas toujours fonctionné sur le mode actuel;  ils ont longtemps comme nous, connu le vase clos, les dissensions et l’éparpillement. Les modes d’action ont évolué depuis l’action d’expropriation d’Enric et les groupes qui aujourd’hui participent à la Coopérative Intégrale Catalane en sont ensuite passés par différentes étapes pour en arriver à la forme actuelle : Les publications Crisi?, Podem! et Rebelaos!, le Mouvement du 15-M et (bien sûr) la dégradation des conditions de vie d’une part grandissante de la population des suites de la crise systémique, ont jalonné ce processus.
Si elle a entre autres financé des projets locaux et la publication de Crisi? et Podem!, il faut rappeler que pas un euro provenant de l’action d’Enric, n’a servi à mener à bien les ambitieux projets de la CIC . Cette expropriation était avant tout destinée à dénoncer le plus largement possible le système financier en mettant en lumière les méthodes employées et les logiques qui l’animent. Or ce système n’a rien d’une spécificité catalane ; nous pouvons tout à fait adapter les critiques et les constats qui découlent de l’action d’Enric, à la situation que nous connaissons en France, ou à celles que connaissent les habitantEs d’autres régions du monde.

La manière dont s’est déroulée l’expropriation revêt quant à elle une importance primordiale. Le déroulement de cette action a été un pied à l’étrier vers d’autres modes d’action — plus ouverts et inclusifs — et une autogestion mêlant horizontalité et décentralisation. La Coopérative Intégrale Catalane a fondé son fonctionnement sur ces mêmes bases. L’autogestion, la gouvernance assembléaire, autant que le consensus qui articulent son organisation ont été redéfinis et ont démultiplié les possibles de manière exponentielle.  C’est une structure fractale, et ouverte aux non-membres partant du principe que touTEs peuvent y apporter puisque touTEs sont impactéEs par le système dominant. Une assemblée régionale est organisée chaque mois pour faire un point des actions en cours et de celles à créer. Des groupes affinitaires, des collectifs, qui existaient auparavant et partagent les valeurs portées par la CIC, ont rejoint cet élan et participent en y apportant leurs initiatives et leurs moyens humains, matériels et financiers. Les projets sont à la fois autonomes et interdépendants. Ils bénéficient du soutien de l’ensemble de la communauté mais si un venait à capoter, il ne nuirait pas au reste des initiatives.

Cette coopérative d’un genre nouveau est dite intégrale car au travers d’elle, on s’emploie à créer des réponses directes depuis la base, aux problématiques engendrées par le système. La CIC a entre autres permis l‘ouverture de centres de santé comme AureaSocial, d’écoles alternatives, l’ouverture d’un hacklab d’où sortent diverses productions libres, ou encore le rachat des dettes des personnes menacées d’expulsion par les banques. Elle facilite l’émergence de nouveaux projets grâce à son organisation décentralisée et son système économique intégral.

Le documentaire Retorn retrace fidèlement les étapes de ce processus et je ne peux que vous inviter à le visionner pour cerner un peu mieux l’historique de ce mouvement en perpétuelle expansion (cliquer sur le bouton CC pour activer les sous-titres en français ).

Revenons en Pays Nantais. La lutte contre l’aéroport et son monde génère un incroyable bouillonnement dans les groupes militants, et depuis l‘opération César, dans l’opinion publique locale et nationale. Rares sont les personnes qui n’ont pas d’avis sur la question et pour cause : Elle met en lumière la fracture entre raison d’État et bien commun. La violence inouïe de la répression policière qui s’est abattue le 22 février 2014 sur les opposantEs au projet d’aéroport, et la répression judiciaire qui a mené plusieurs de nos camarades en prison pour avoir tenu tête aux porcs ce fameux samedi, ont lézardé l’imaginaire commun d’un État garant de l’intérêt général.

Dans mon précédent article, j’ai entre autres soulevé l’impossibilité mathématique de construire des alternatives réelles au système capitaliste en s’appuyant sur les subventions versées par la représentation de l’État, quand l’État est le principal collabo des intérêts dominants et veille à ce que surtout rien ne change. Aujourd’hui, j’ajoute qu’il est tout aussi impossible d’envisager un rapport de force efficace en persistant à agir de manière isolée et en s’arc-boutant sur les modes d’actions que nous employons pour l’heure . La nécessité d’un changement radical de système se précise un peu plus chaque jour, qu’il s’agisse de l’angle social, écologique ou économique. Il devient de plus en plus évident que seul un rapprochement des luttes et des alternatives indépendantes à toutes les échelles (du plus local au plus global), permettra un vrai bouleversement de l’ordre établi ; la chute de ce vieux Monde.

A mon sens, toute création d’alternative doit incorporer les critiques du mode de gouvernance et des logiques de prédation du capitalisme. Le quotidien de chacunE est ancré dans l’idéologie dominante et chaque acte que nous effectuons nous y soumet bon gré mal gré. Le filtre des luttes est nécessaire pour saisir les enjeux et se mettre en mouvement. Je suis convaincue de la nécessité de lutter, mais je pense qu’il faut véritablement cesser de collaborer passivement avec le système dominant : Construire ensemble les moyens de notre autonomie tant collective qu’individuelle. Nos débats et nos expériences prendraient un tour nouveau si nous les ouvrions sur la réalité quotidienne de nos pairs, si nous tentions de trouver touTEs ensemble nos propres réponses aux problématiques soulevées depuis la base, et si nous entreprenions de les construire directement.

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S’organiser de manière autogérée pour mettre en place des alternatives mais aussi générer des actions de désobéissance massive, et réamorcer la solidarité dans un quotidien devenu des plus individualisants, est certainement l’une des actions les plus efficaces qui puisse être opposée face à ce contexte déliquescent. Il s’agit de prouver par le fait que l’on peut reprendre le contrôle de nos vi(ll)es et de proposer à touTEs celleux qui partagent nos constats de nous rejoindre ou d’en faire autant. Je pense que c’est là aussi la meilleure manière d’arriver à bout des éructations rouge-brunes et autres gesticulations fascisantes qui jonchent de plus en plus l’espace public…

La fin de cet article est ouverte ; je n’ai pas idée de la tournure que prendront les choses chez nous, mais je peux vous donner un peu de matière quant à la continuité des actions des CatalanEs :
Deux ans seulement après son lancement, la Coopérative Intégrale Catalane touchait déjà environ 20 000 personnes sur toute la région. Elle s’est diffusée et a été répliquée dans plusieurs régions d’Espagne suite au Mouvement du 15-M et à l’appel à la Révolution Intégrale. Dans les quartiers, les villages, les cantons et les villes catalanes, on retrouve une myriade de petits groupes et d’EcoRéseaux en lien avec la CIC. Il existe à présent un réseau des Coopératives Intégrales et le modèle s’étendant à d’autres pays (d’abord en France et maintenant jusqu’en Belgique), ce réseau s’internationalise (tout en restant horizontal et décentralisé). Le 17 septembre dernier (6ème anniversaire de la publication Crisi?) la Fair.coop, « la coopérative planétaire pour la justice sociale », voyait le jour. Elle propose la construction d’un réseau mondial de transition post-capitaliste, et a entre autres ambitions, celle de « squatter les marchés financiers ».

Des outils révolutionnaires sont à portée de la communauté et il ne tient qu’à la communauté de s’en saisir.

Précaires de tous les pays, unissons-nous!

J’ai pris ma retraite à l’âge de 27 ans. C’est le mal-être personnel qui m’a poussée à sortir du salariat. Il m’a d’abord fallu mettre des mots sur mes maux, comprendre comment j’en étais arrivée là. Puis j’ai dû me confronter au jugement sociétal, celui des institutions, et celui de mon entourage. Un entourage bienveillant mais très inquiet, à qui ma situation faisait peur et que ma décision de ne plus travailler a beaucoup déstabilisé. Je me suis trouvée de nouvelles marques en dehors du cadre idéologique qui m’avait, dès le passage sur les bancs de l’école, façonnée selon les codes de l’organisation du travail en vigueur.

Je refuse de travailler. Vous m’imaginez peut-être — non sans grincer — glandant allègrement dans un hamac bleu blanc rouge, aux frais de l’État Providence. Il vrai qu’il m’arrive de buller, et certainement plus que la moyenne. La paresse, c’est ne rien faire physiquement, c’est aussi ne pas se laisser accaparer l’esprit par des choses extérieures à soi. Glander, c’est pénétrer dans l’antichambre de la réflexion. Je jouis d’un temps précieux que j’emploie à observer, à créer, à réfléchir… J’ai du temps pour m’épanouir et du temps pour aimer aussi. Depuis 7 ans que j’ai pris ma retraite, je fais majoritairement ce qui me plaît, et à mon rythme. Je choisis mes contraintes et n’accepte que celles qui font sens pour moi. J’aurais aujourd’hui beaucoup de mal à me mobiliser pour un salaire quand la contrepartie en serait la perte de ce précieux temps dont je jouis ; le temps de lire, de réfléchir, d’écrire, de créer et monter des meubles en carton. Le temps de filer des coups de main, le temps de prendre soin des mienNEs et de moi… De me sentir libre.

Une croyance largement répandue est de considérer le chômage comme dévalorisant voire carrément dégradant. Si le chômage est dégradant, j’en conclus que le travail est valorisant, mais de quelle forme de travail parlons-nous? Car dans la société que nous connaissons, ce que l’on appelle travail comprend en premier lieu le travail salarié ; le fait d’être employéE à une tâche en l’échange d’un salaire. J’aime jouer les avocates du diable en cherchant des arguments en faveur du salariat, mais rien ne tient. Si je peux concèder qu’un salaire améliorerait potentiellement ma condition sociale, je trouve en revanche bien mal rétribué le temps et l’énergie gâchées pour le compte d’une entreprise. Quand il m’arrive de ne plus savoir quoi faire dans une journée, que je peine à me fixer sur une activité et que même flemmarder m’est difficile, l’idée qu’un emploi régulier pourrait me cadrer et m’éviter de réfléchir peut me traverser l’esprit… Mais juste le traverser, car assez rapidement j’entrevois le train-train routinier et abêtissant auquel me promettrait un tel quotidien. Et quand je tente de me figurer le travail comme le lieu d’une vie sociale, c’est le souvenir des tortures managériales et de la concurrence imposée au sein même des équipes qui me revient. Impossible d’imaginer nouer des relations d’amitié sincères entre collègues dans ces conditions. Ces moments de cogitation et d’autocritique, sont autant de renforts dans mon positionnement. Pour moi c’est classé : Plus jamais ça.

Après oui, c’est vrai que quand on se retrouve au chômage et que du salaire on passe à l’Allocation de Retour à l’Emploi, c’est un peu rude. Et il n’y a pas que les revenus qui se cassent la gueule, le statut social dégringole lui aussi. L’imaginaire commun laisse entendre qu’il vaut mieux gagner peu si tant qu’on le gagne. C’est très vieille France comme croyance : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. » Limite catho! Enfin toujours est-il qu’en plus de perdre des thunes, on perd en respectabilité à être au chômage. On devient la proie des institutions (et de leurs contrôles), des médias et des politicienNEs qui tirent à boulet rouge sur « l’assistanat », et de touTEs celleux qui n’hésitent pas à dénigrer leurs pairs « privéEs » (ou pas) d’emploi afin de réclamer plus de reconnaissance (illusion de la méritocratie…).
Mes années de salariat ne m’ont jamais apporté plus qu’un SMIG. Je n’ai pas vraiment souffert de la réduction de mes revenus puisqu’elle s’est équilibrée de fait : j’économisais les trajets quotidiens, l’entretien de bagnole, les frais de garde… Ma manière de consommer s’est progressivement modifiée elle aussi. Aller vite ça coûte cher. Les plats préparés dégueulasses que j’achetais tant que je bossais étaient eux donc très chers. Un beau jour, j’ai compris le message que me passaient les barquettes microondables de lasagnes ou de hachis parmentier : « Tu dois aller vite et je t’aide à le faire. Alors oui, mon goût est plus que moyen et mes ingrédients, plus que douteux… Mais ne dit-on pas que le temps, c’est de l’argent? Mon rôle de plat surgelé est de t’aider à gagner la course.  Les  20 minutes de liberté que tu ne passes pas à cuisiner valent bien les 5€ que je te coûte! » .  De là on est passéEs au fait maison et d’autres changements ont suivi. Quand au terme de l’ARE je suis passée au RSA, les 40% de revenus que j’ai perdu ont amplifié la cadence de délestage du superflu. Le « moins j’en ai, mieux je me porte » est devenu un art de vivre. Depuis, je pare avant tout à l’essentiel, à ce dont mon fils et moi avons réellement besoin pour vivre  et je n’ai pas l’impression d’y perdre, au contraire!

Cette façon de vivre porte un nom, c’est la simplicité (ou sobriété) volontaire. La critique sociale du travail doit s’accompagner d’une interrogation de nos vrais besoins. Avons nous vraiment besoin de toutes ces choses que nous accumulons, ou de ces services que l’on se prend à souscrire sous prétexte de se « faciliter la vie » ? A vouloir se libérer des contraintes naturelles inhérentes à l’être humain, on s’aliène à du faux, du toc. Notre société de consommation est fondée sur la croissance et c’est une croyance à abattre de toute urgence. La vidéo qui suit explique la logique de croissance et les intérêts (aux antipodes des nôtres) qu’elle sert.

Ma démarche personnelle s’est politisé peu à peu, et de fil en aiguille j’en suis venue à creuser sur les logiques qui « m’imposaient » de fonctionner comme je l’avais fait jusqu’à mon virage. J’ai assez rapidement envisagé deux possibilités : celle de continuer mon petit bonhomme de chemin sur mon sentier de sobriété heureuse dans mon coin, ou celle de partager. Je suis revenue de Catalogne avec une évidence en tête : Quand les précaires, les chômeureuses, et toutes les p’tites gens comme qui dirait, retrouveront le sens du mot solidarité et comprendront que c’est à elleux qu’il revient d’autogérer le quotidien, on aura fait un grand pas. Il  fallait partager ces idées, ces pratiques que j’avais découvertes outre Pyrénées. La solidarité fait défaut à nos luttes. Elle est encore trop minoritaire pour que le bras de fer à mener contre les artefacts du capitalisme soit équitable, mais il n’en tient qu’à nous d’agir pour qu’elle s’immisce dans nos quotidiens. Des fois il suffit de filer un petit coup de main à ses voisinEs, d’autres fois, de soutenir le squat de migrantEs qui s’est établi à côté de chez soi, ou encore de créer avec des potes une petite épicerie sèche autogérée et autofinancée, ouverte aux habitantEs du quartier…

« Si un jour on atteint les 500.000 chômeurs en France, ça sera la révolution. » George Pompidou – 1967.

Aujourd’hui, nous sommes prêts de 9,5 millions de chômeureuses en France toutes catégories confondues, en comptant avec les RSAistes, les AAHistes, les sans-droits toutes catégories, et les jeunes de moins de 25 ans qui ont droit à peau de zob. 9,5 millions de personnes qui galèrent plus ou moins et dont une part se retrouve confrontée aux questionnements et constats que j’ai évoqués plus haut. 9,5 millions de personnes qui en se rencontrant peuvent débattre de la valeur travail et mieux appréhender leur rôle de précaires. Car la précarité joue un rôle de premier ordre dans la machinerie capitalistique. C’est grâce à la précarité croissante et à la peur qu’elle suscite que le patronat peut faire adopter à un gouvernement bourgeois (UMP/PS/MODem/FN…) toutes les mesures de flexibilité possibles et imaginables. C’est grâce à l’existence de cette masse précaire que des salariéEs acceptent de voir leurs conditions de travail se dégrader et leur salaires baisser pour éviter — ou tout du moins repousser l’échéance — d’une délocalisation ou d’un dégraissage des effectifs…
Les salariéEs sont atomiséEs, misES en concurrence, et sont pris au piège de la course permanente. Cette France qui se lève tôt est absorbée par sa perpétuelle fuite en avant, l’illusion du confort et de la reconnaissance sociale de leur statut. Les chômeureuses sont une masse, une communauté à part entière rassemblée sous le dénominateur commun de la précarité. Etre au chômage c’est  jouir d’un temps que l’on peut allouer à se trouver, réfléchir, comprendre l’ordre des choses et travailler à le renverser. On a tout le loisir de se rencontrer, de débattre, de s’organiser, de s’entraider, de résister et de désobéir ensemble. S’il est une révolte qui fait trembler le patronat et l’Etat, c’est bien celle des chômeureuses… Des millions de personnes qui n’ont plus rien à perdre ou si peu, et qui peuvent allouer tout le temps qu’elles souhaitent à la lutte et à la construction d’une nouvelle société.
Face aux radiations de Pôle Emploi, aux contrôles divers et variés, face à la guerre ouverte à « l’assistanat », la solidarité est la meilleure des réponses qui est à apporter. Et ce qui est vrai pour la résistance face aux institutions l’est aussi dans la construction d’autres façons de vivre et de pourvoir à nos besoins. Employer son temps à satisfaire à ses besoins est une première chose, mais on ne peut pas s’autosuffire en tout. Partager ce qu’on sait faire, ce dont on n’a pas besoin, ce qu’on a en trop avec d’autres sans recourir à l’Euro est une base pour touTEs celleux qui font le choix de l’autonomie.

…Qu’attendons-nous?