J’ai un mal fou avec les convenances qui veulent que l’on formule des vœux, que l’on se souhaite une bonne année, une bonne santé, la réussite et blablabla à qui veut l’entendre. Oui, c’est bien de se dire de gentilles choses, d’avoir une pensée pour les autres mais… La première semaine de l’année serait donc la semaine où il faut être sympa avec les autres. On souhaite « tout le bonheur du monde » à ses proches, sa famille mais aussi à sa hiérarchie, à celleux qui tout au long de l’année se moquent bien de comment on va et encore plus de qui l’on est, à celleux qui n’en ont au final rien à foutre que nos vœux soient exaucés ou que notre vie soit un cauchemar cette année encore. En fait, cette semaine est surtout représentative du vide sidéral qu’est l’existence normée et des codes mis en place pour y palier…
Je ne jette pour autant la pierre à personne car j’ai bien conscience qu’il est compliqué de sortir du dogme de la bienveillance de la semaine 1/52. J’ai beau jouer les empêcheuses de tourner en rond, j’y suis soumise comme vous et ce billet d’humeur (pas obligatoirement mauvaise!) va en un sens répondre à la convenance, puisque je l’écris un 2 janvier… Mais je vais tenter (gentiment) de botter le cul à la convenance !
2015 sera la suite logique de 2014. Elle comportera son lot de mauvaises nouvelles, d’actualités anxiogènes, et sera certainement plus dense encore en la matière. Les guerres,les famines, l’absence de toit continueront de tuer et l‘économie libérale, de broyer des centaines de millions de personnes selon une logique aussi communément admise qu’inhumaine. Le refrain qui veut que les riches deviennent encore plus riches et les pauvres, encore plus pauvres résonnera en alternance avec les différentes réformes qui ne feront que creuser un peu plus le fossé sous prétexte de relancer la croissance. La bêtise et la bovinerie – voire la porcherie – de certainEs se confirmera tristement. La duplicité, la pauvreté d’âme, l’égoïsme de certainEs autres qui n’hésiteront pas, pour préserver leur statut, leur confort (pour protéger leur cul, disons-le) à écraser leurs pairEs sera de plus en plus criante… Ça envoie du rêve non ?
Oui, c’est pas gai présenté comme ça… Mais on a toujours tendance à être interpelléEs par ce qui est négatif, flippant, et à trop peu relever ce qui est positif, engageant. Pourtant quand une situation se dégrade, une montée en puissance de la résistance s’opère sous différentes formes et ça branle (sérieusement) dans le manche en ce moment.
J’ai souvenir de manifs anti-répression avant 2014 où nous étions à tout casser 300 (j’ai pas dit 300 à tout casser, je précise! )dans les rues de Naoned, et aujourd’hui, ce sont en moyenne dix fois plus de personnes qui se bougent sans que les mots d(e dés)ordre n’aient été modifiés. Des personnes qui ne font pas obligatoirement partie de la sphère militante, qui sont juste dégoûtées de la manière dont tourne ce monde y prennent part. Les ZADs qui se montent partout sont un autre indice de cette prise de conscience plus large. Ces rassemblements qui ne demandent pas de permission et ne découlent ni d’une centrale syndicale ni de partis politiques, ces émeutes qui éclatent partout dans le monde expriment la colère, le dégoût et la défiance qu’inspirent les Institutions des États à une part croissante du populo. Quand on n’a plus rien (ou de moins en moins) à perdre, les peurs tombent et la terreur change peu à peu de camp ; la violence aveugle des répressions policière et judiciaire illustre pas mal l’état de panique des appareils étatique tout entier. Ce qui est fort, c’est que l’on peut constater que ce que l’on connaît chez nous trouve une résonance au quatre coins du monde. La vitrine de l’État de droit est sérieusement étoilée… Et ça c’est toute l’année !
Si je me délecte de ces constats, si mes yeux brillent en repensant à la pluie diluvienne de caillasses qui s’est abattue le 1er novembre sur les bleuEs, Cour des Cinquante Otages à Nantes, ou en me repassant les images surréalistes du 22 février 2014, ce n’est pas pour autant que je « m’éclate » sur les temps d’émeute et de confrontation. J’ai certes l’amour de ces moments durant lesquels le carton-pâte du décor communément admis – la ville si propre et tout ce qu’elle comporte d’artifices – se fissure pour qu’entre enfin en scène l’expression débridée d’une saine colère, d’un ras le bol général de cette vie là. Je trouve ça romantique : ça vit, c’est puissant, ça transcende. En tous cas quand je compare ces souvenirs ardents avec ceux du petit quotidien normé et gris qui a failli avoir ma peau il y a de ça presque 8 ans, il n’y a pas photo…
Mais ce que j’aime par dessus tout c’est voir s’établir tout naturellement les solidarités dans des lieux improbables, entre des personnes que l’on n’a pas l’habitude de voir interagir et qui le vivent avec spontanéité, sur un mode totalement désintéressé. EnrhuméE dans un tram, vous viendrait-il le réflexe de demander un mouchoir à quelqu’unE ? J’imagine que non et si oui, alors chapeau! Lorsqu’on est sur une manif tendue qui vire à l’émeute, le réflexe de celleux qui ont amené de quoi se protéger, c’est de partager leurs doses de sérum, leurs bouteilles de maalox, leurs masques, leurs foulards, leurs conseils aussi ; c’est de faire attention les unEs aux autres. On ne se connaît pas, mais on se reconnaît. C’est à mes yeux l’indice que nous avons bien plus de poids dans la balance du rapport de force que ce que nous imaginons et je pense que c’est précisément ce qui fait flipper le pouvoir en place!
Les manifs sont la partie émergée de l’iceberg insurrectionnel mais l’insurrection c’est aussi la désobéissance aux lois, aux règles et aux codes sociaux. Tant que je me conforme aux usages en vigueur, même avec les meilleures des excuses, je collabore. Tant que je me sens seulE, même si j’espère des jours meilleurs, je ne fais rien. Mais si je me lie à des personnes de mon coin qui partagent la même critique que moi de ce monde, et si ensemble nous commençons à nous organiser pour nous libérer touTEs autant que nous sommes et à désobéir ensemble, alors nous cessons de collaborer et participons à faire tomber l’édifice, au côté d’une myriade de groupes comme le nôtre.
L’organisation dominante que nous subissons ne repose que sur la foi que l’on a en elle. Mais après tout, pourquoi l’État, le grand spectacle politicien, le pouvoir ? Pourquoi la démocratie, la république ? Pourquoi monnaie et propriété dirigent-elles le monde ?… Pourquoi pas des communes libres et indépendantes, l’abolition de tout pouvoir, de l’argent, de la propriété ? Pourquoi pas une autogestion guidée par le bien commun, la satisfaction des vrais besoins de touTEs ? Pourquoi pas une auto-organisation collective et spontanée ?
Des expériences du passé terriblement réprimées nous prouvent qu’il est tout à fait possible de faire autrement, d’imaginer d’autres formes de vie selon d’autres valeurs. Réaliser que nombre des présupposés qui nous sont inculqués dès notre plus tendre enfance ne sont que des vues de l’esprit, c’est ouvrir la porte à d’innombrables possibles. Plus nous commencerons à les passer à la pratique par notre action simple et quotidienne, plus nous aurons de chances d’en finir avec le vieux monde.
N’attendons donc plus un jour précis pour faire tinter nos verres. Ce que je vous souhaite aujourd’hui, je vous le souhaiterais volontiers chaque jour et ça n’a rien d’un vœu ou d’une incantation :
Trinquons à la fin de ce monde, dansons jusqu’à l’effondrement, portons un toast à nos liens, à nos amitiés, à nos luttes, à la vie! Épanchons chaque jour et chaque nuit notre soif de liberté, savourons le respect que nous nous portons les unEs les autres, le respect que nous avons pour nous-mêmes. Que des milliers de brasiers fassent ressurgir en nous les enfants altruistes et enjouéEs que nous étions! Que brûle en nous le feu ardent de la révolte et qu’il réchauffe nos cœurs roidis par nos si mornes quotidiens! Vivons pleinement, ne refrénons plus nos sentiments de révolte et ayons confiance en notre capacité à créer les bases d’un monde où l’on n’attendra pas de décréter une semaine de mièvrerie sur fond de crise de foie pour avoir une pensée (et sincère en plus) pour les autres. Un monde où chaque jour de l’année la solidarité, la créativité, l’insoumission face à tout ce qui tente nous asservir et notre force collective seront à l’honneur. Je nous souhaite de vivre vraiment, loin de tout ce qui peut être surfait, loin des fausses consolations, en dehors des faux-semblants qui rancissent l’existence jusqu’à la rendre gerbante.
En bref: Vivez!
Et au prochain billet :)